Je me suis en effet enterré, avant de partir. Je devais, vous me connaissez, accomplir un acte symbolique pour marquer la rupture. Alors le vendredi j'ai pris mon nain de jardin voyageur, qui m'a observé à tous les jours... Pour mon dernier repas, j'ai choisi une soupe tonkinoise, du pho 14, que j'ai partagé avec ma disciple, Sabrina (il y avait aussi un homme d'affaire propret et un chinois étrange aussi, mais on leur parlait pas). J'ai pris l'oignon, le basilic, les fèves germer et j'ai dis à ma soupe : Tenez ! et mangez en tous, ceci sont des légumes livrés pour vous. Puis, j'ai pris la sauce rouge et ai fait une belle spirale en disant (en silence) : Tenez ! et buvez en tous, ceci est mon bouillon livré pour vous. Vous ferez cela en mémoire de moi. Puis j'ai pris une bouchée en me fermant les yeux... (Bon, ma photo facebook est comme une reprise de ce moment de grâce, mais ça reste la même soupe, mangée pour vous...) Après la communion, bon habituellement, j'aurais dû me faire endurer un calvaire, mais j'ai préféré filer tout droit vers le cimetière. J'ai choisi nulle autre que le Père Lachaise...
J'avais un but : enterrer mon nain de jardin. J'ai regardé sur le plan la manière de me rendre à l'endroit précis où je voulais qu'il repose en paix. C'était simple : marcher tout droit jusqu'à la chapelle, tourner à droite sur la rue du dragon... Et bien j'ai marché tout droit, j'ai vu la chapelle, et je ne sais pas ce qui m'a pris, mais j'ai dévié de ma trajectoire. Je ne sais pas où j'allais, mais je marchais, et je gagnais un chemin que je savais pourtant ne pas être celui du dragon. Tout me semblait normal. Puis je rencontrai la première tombe bien décorée. J'ai lu le nom et ça m'a comme réveillé d'un coup : Gilbert Bécaud. J'ai eu un mouvement paradoxal dans mon corps : mes jambes sont devenues molles et un sourire a éclairé mon visage... C'est sur un air de Gilbert Bécaud, "c'est la rose l'important" que nous avons enterrés ma grand-mère paternelle. J'étais à la fois stupéfait et rassuré... Rassuré de quoi ? Je pense qu'on le sait tous... Je suis resté là à attendre, comme on attend quelqu'un en train de parler à quelqu'un d'autre. J'avais la très nette impression de permettre à ma grand-mère de rencontrer son idole. Puis, après cinq minutes, je me suis dit que ça suffisait, je suis reparti, puis l'idée que je n'avais pas pris de photos commença à m'obséder... Je suis retourné... et j'ai pris les photos... cinq... de la tombe de Gilbert Bécaud. Je me suis surpris à lui dire merci en quittant.
Paris me sembla radieux. Tout était paisible, comme dans un cimetière. Celui-ci s'est alors révélé dans toute sa sinistre beauté. Mais je devais enterré mon voyage... Après plusieurs errances, je trouvai enfin la 28e division... Et j'ai trouvé la tombe sur laquelle poser mon nain. J'ai prononcé : "Les sciences sociales, c'est un combat."
J'ai posé mon nain de jardin sur la tombe de Pierre Bourdieu, ou sur la pierre de Tombe Bourdieu... Quand il a touché le roc, j'ai pensé "t'es mort"... Polysémique... Et comme un enfant, mais comme un enfant, j'ai ri... J'avais (tré)passé... Et je riais... Je prenais des photos du résultat, et je cachais mon fou rire. Heureusement, j'étais seul. En le quittant, je lui ai dit un aurevoir silencieux comme à un défunt. Et je quittais, en souriant bêtement. J'avais enterré mon voyage à Paris...
Je me suis dirigé vers la lumière, et je me suis assis à un café pour prendre un coca... Je prends toujours un coca quand je me sens en voyage... (parlez-en à Mélissa, encore scandalisée du nombre de coca que j'ai bu à Budapest...) Je venais de commencer mon voyage vers l'autre monde... Le soir même, j'ai dit aurevoir à mes amis dans le cadre d'un party où personne n'avait le coeur à boire, en prenant bien soin de m'assurer qu'ils allaient savoir comment trouver la paix... Je suis entré dans ma chambre plutôt tard... Le lendemain, je me suis terré dans ma chambre, comme le samedi des lumières (bon, j'ai sorti pour une commission, mais pour l'exercice de style... disons que je suis resté dans ma chambre, le rideau de fer fermé comme un tombeau...) J'ai fait ma valise tranquillement... Le dimanche, je suis parti. Une gitane m'a chanté des chansons avec son haut-parleur jusqu'à ma station, pour me narguer... et j'ai quitté ce monde.
Adieu, blog cruel...
4 commentaires:
perfect post
Amen mon Jo. On se verra à ta résurrection.
ainsi sois-tu...
C'est la fin d'une époque... mais je suis tout de même bien content que tu sois de retour!
Je me demande sincèrement combien de temps le nain voyageur restera sur la tombe... Peut-être diviendra-t-il un être mythique du cimetière. On ne sait jamais!
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