2009-04-28

l'anomie

Je reviens du spectacle de Pierre Henry. Pour ceux qui le connaissent pas, c'est un musicien en électro-acoustique qui a été super avant-gardiste. Ce fut un élève de Messiaen, mais surtout un grand collaborateur de Pierre Schaeffer. Il est connu pour avoir imposé sur la scène musicale un son contemporain, qui mélange des bruits réels et synthétiques. C'est un déchaîneur de lyrisme, uun anormal, un fétichiste de l'anomie, qui veut imposer ses propres règles. C'est un grand défonceur de portes et c'est un peu grâce à lui, à son courant, qu'on connaît la musique électro d'aujourd'hui. Sa pièce la plus connue reste "Psyché rock", composé en 1967 quand même, qui a été repris (si vous n'avez pas été écouter la pièce, ça vaut la peine de le faire avant de poursuivre la lecture) récemment par Fatboy slim (et qui a paru dans le film d'ado "Mean girls") et surtout le générique du Futurama... C'est vraiment un cool papy !
C'est Julie H. qui m'a invité là... Hey oui, elle a décidé de prendre un peu de temps pour aller voir ça même si elle doit remettre son mémoire qu'elle doit remettre dans 15 jours qui n'est pas commencé à rédiger, qu'elle ne pourra terminer à temps parce que la bibliothèque de musique, qui a été fermée toute l'année pour des raisons diverses (rénos, grèves, vacances, absentéisme, etc.) a finalement perdu la partition qui est l'objet du mémoire de Julie H. Vive la France...Ha oui, et il lui reste aussi 8 examens pour son option médiation et une quinzaine de concerts à donner... Finalement, maudit que je me pogne le cul moi en France... Mais bon, elle est sorti pour un soir, le sourire aux lèvres...
Le spectacle était un spécial "everything to kill Jérome" et "tout pour rendre jalouse Dorothée". Premièrement, on a pas pu avoir des billets pour la première partie (vous avez bien lu), partie qui se déroulait dans une autre salle... Ouff... Mais tant mieux, car finalement, ils ont fait entrer ceux qui avaient des billets pour uniquement la deuxième partie avant ceux qui étaient dans l'autre salle (ce qui est absurde, car on a payé nos billets deux fois moins chers), si bien qu'on a eu les meilleures places et eux... les miettes... enfin, pour ceux qui ont eu des places. Vive la France !
Pierre Henry a joué "l'intégrale des Musiques concrètes (répertoire et inédits de 1950 à 2008)" qu'il a créé pour Maurice Béjart, un danseur moderne qui se voulait belge (malgré sa nationalité française). Musique concrète, pour les non-initiés comme je l'étais, c'est une manière savante de dire du "bruit"... (Vous pourrez dire entre vos dents "Cette surabondance de musique concrète m'indispose !" et vous ferez un malheur dans un salon...) En fait, c'est tout l'ancêtre du scratching et du mixing... c'est cool... Et bon, l'artiste l'a fait comme dans le bon vieux temps, mais encore plus technologic... avec 36 hauts-parleurs sur scène et un peu partout dans la salle... Il changeait de pièces à chaque soir, nous, on a eu droit à Variance I, Duo et Messe pour le temps présent (dans laquelle il y a une section de Psyché rock ! Hou hou !)... Et c'est étrange, car il n'y a que ça sur scène (j'aurais voulu que mon chum voit ça, juste pour le voir), Pierre, qui se déplace difficilement du haut de ces 65 ans, est assis du même sens que nous. C'est comme si on vénérait ces hauts-parleurs, ce bruit, la technologie... Très dada... Mais en même temps, ils ferment les lumières... mais pas tout le temps...
C'est bizarre cette musique, ça vous amène dans des sections insoupçonnées de votre cerveau... Le bruit, parce que la première pièce n'est que ça, sans cohérence, ça fait spinner le petit hamster. Il y a nécessité de trouver un sens à tout ça et très tôt, ça enivre. Je pensais à des trucs bizarres... Mais bon, mes rêves sont bizarres ces temps-ci. Rien pour aider quoi. Il y avait encore une question de guerre civile... Mais c'est normal, c'est une musique hantée... On finit par halluciner des ombres et se sentir en danger, comme s'il y avait des Hongrois (parce qu'il y avait des bruits d'hommes qui parlaient une langue étrange et malheureusement pas Mélissa pour tenter d'établir un dialogue) qui tentaient de pénétrer dans une intimité pour la détruire. Mais j'ai, je pense, compris pourquoi on cherchait à assassiner Claude Lévi-Strauss... Enfin, je me comprends...
Mais quand arrive Messe pour le temps présent, le son de carillon m'a vraiment fait prendre un orgasme auditif. J'ai senti mes jambes ramollir (on m'a retrouvé dans l'escalier... calciné... one... two... one two très fort)... Sentiment surréel : je croyais au futur. J'ai vraiment eu une éruption d'enthousiasme.
C'est cool cette anomie... Contrairement au "no future" du mouvement punk, les artistes comme Pierre Henry comprennent que s'ils foutent en l'air la règle, pour pouvoir exprimer en toute liberté leur créativité, c'est seulement pour jeter les bases d'une nouvelle structure dans laquelle il serait bien. Il y a la quête du dôme, la quête d'appartenance. Quand on prête l'oreille attentive, on comprend ce que c'est, le génie des marginaux. Je ne comprends pas leur univers de technique, mais ce que je sais, c'est que cette musique me ressemble ou enfin, je m'y suis gravement reconnu. Puis je riais doucement, sachant mon chum à l'autre extrémité, dans son Baroque perché qui tient en son bec un fromage... C'est ça, l'amour qui nous permet de nous composer, elle est dans ce rapport dialectique... (là, je ne peux plus écrire "dialectique" sans penser à Patrick qui traie une vache imaginaire et du mauvais côté)
Pierre Henry nous a joué gratuitement sa pièce préférée (enfin, je crois) le Voile d'Orphée, inspirante... Et il nous a fait en rappel une autre pièce dont j'ai oublié le nom, mais qui m'a fait tombé de très, mais très haut... J'ai reconnu les bruits... C'était ceux du jeu Sonic sur le Sega Genesis. Je suis sûr qu'il s'agit de ces sons, j'ai suffisamment joué à ce jeu et jouer à tout faire jouer ces sons dans les options... Déception... J'ai vécu un sentiment (rare chez moi) d'être complètement terre-à-terre, de refuser de décoller, et de trouver toutes ces rêveries un peu ridicules et improductives...
Et c'est dommage, car ça m'a cassé le mood pour la troisième partie (hey oui, Vive la France !), il y avait le Ballet de l'Opéra national du (delta du) Rhin qui improvisaient sur l'oeuvre de Pierre Henry "Variations pour une porte et un soupir"... Le titre est génial et franchement inspirant. Extraordinaires références aux portes que l'on ouvre et que l'on ferme au quotidien et dans le cycle de vie... Et les soupirs... Poétique... mais la magie ne s'est pas opérée... J'ai juste chialé dans ma tête contre l'amateurisme des danseurs (sauf la #5), l'anomie qui régnait sans fierté, la vulgarité d'un des danseurs en bobettes (quoiqu'il y a des vulgarités agréables...), l'impossibilité de créer des tableaux et de "composer" en équipe. Bref, improvisation ratée. Ils n'étaient selon moi pas assez bons pour se lancer sans cordes, sans chorégraphie. Ils se sont heurtés la face dans la porte.
L'anomie, c'est génial pour la créativité, mais la créativité pour la créativité, ça produit souvent qqc dépourvu de structure... un amas de chair sans squelette, une purée de "quelque chose" peu inspirant...
Avec tout ça, je prends du retard pour mon travail... Soupir... Et porte qui se ferme.

7 commentaires:

Anonyme a dit...

En science, on crée en fonction d'une matrice disciplinaire intersubjective qui assure en même temps que cette création puisse être reçue, c'est-à-dire é-valuée. Pas de connaissance sans reconnaissance.

No qui a mis quelque temps à compendre l'image, mais qui a bien ri lorsqu'il l'a comprise (traire à l'horizontal)

Anonyme a dit...

Mais en fait, la musique concrète ça me semble un peu le penchant sonore de l'art brut... on pourrait même appeler ça la musique brute !?!
Mo

jocelyn a dit...

Mo : tu soulèves une grave polémique je crois en musicologie... Moi je t'accorderais le point, mais je suis sûr qu'il y a une technique que l'amateur dans notre genre ne saisit pas. L'art brut (j'ai fait une entrevue sur ça, j'adore... contrairement à mon chum qui pourrait engager un tueur à gage) part d'avantage d'une volonté... brute... de vouloir créer. Ce sont des amateurs qui n'ont aucune technique, mais qui sont animés par une extraordinaire créativité.
Ça me fait drôlement penser au docu-spectacle de Sigur Ros (groupe électro-acoustique islandais) qui ont fait une tournée improvisée dans de petits villages isolés en Islande (extraordinaire !) et qui se ramasse au milieu de nulle part, dans une cabane isolée, à jouer autour de sculptures d'art brut. L'intégration audio/visuel est sans tache. Plane un environnement créatif exceptionnel où toute une identité islandaise (voire nordique) semble se déployer en toute liberté, comme sur ces kilomètres de territoire non habité... Enfin, il y a certainement une forte relation entre les deux courants, mais je pense que c'est un inter-dit... :P
Quant à toi No, tu devrais te réjouir, j'ai dit pas de reconnaissance sans respect des règles... :P

JérômeB a dit...

OK, trop de questionnements et de tentatives d'objectivité dans votre discours. Il faut appeler un chat un chat et de la musique de la musique. CE N'EST PAS DE LA MUSIQUE!
Voilà, c'est si simple...
Selon moi, il ne suffit pas d'avoir des connaissances: le bonhomme a étudié avec Messiaen (trou de cul en chef de la musique contemporaine française...), ce qui lui donne indubitablement des connaissances et de la reconnaissance de ses pairs. Au delà de la créativité, il faut qu'il y ait un sens de l'esthétisme dans l'art. Il est de ceux qui veulent faire parler d'eux à tout prix...Si quelqu'un trouve cette merde esthétique, j'avoue que je suis prêt à engager un tueur à gages!

Anonyme a dit...

bel exemple concret du danger de l'absence de nomos non explicité

sans lui on est condamné: un dira que c'est de l'ar l'autre dira que non

Jérôme soulève un bon point et je constate qu'il n'est pas un relativiste comme son chum

quand il dit "ce n'est pas de la musique" c'est qu'il reconnaît qu'il existe un nomos dans le champ artistique permettant de discriminer ce qui est bon de ce qui n'est pas bon

le défi maintenant c'est d'expliciter ce sens de l'esthétisme en fonction duquel on peut apprécier les productions artistiques, les juger

No

Yo et/ou Sab a dit...

Moi je veux juste dire que j,ai bien aimé la formule du Baroque haut perché... et la carte postale que je t'ai rapporté de Milan !!!
Sabri XX

Yo et/ou Sab a dit...

Yo,
j'ai de plus en plus de misère à te suivre avec tes beaux mots (héhé) et toutes les analyses complexes que tu fais dans tes posts.... Moi je dis que l'important c'est le divertissement que ça procure, peu importe la forme que ça prend. Moi qui pensais que c'était les Beastie Boys qui avaient fait cette toune, encore une fois ce n'était qu'une reprise comme 90% des grands succès Hip Hop http://www.youtube.com/watch?v=albtiJG4j5Q

Si tu connais pas, faut que je te fasse écouter le dernier album expérimental des Beastie Boys, c'est du genre Pierre Henry (et c'est sensé être des compositions originales). Leur prestation en show de cet album est tout simplement incroyable !

Yo