2009-03-15

Fajitas et bonnes espérances

(sur le ton d'un roman féminin)

Noémi s'éveilla tard ; c'était normal, elle s'était couché à 4h00 pour fêter le lendemain du vendredi 13... (Tous les prétextes sont bons pour célébrer à la MEC.) C'est la chaleur accablante de sa chambre mansardée, qui connaît bien les règles de l'effet de serre, qui l'obligea à se lever pour ouvrir sa fenêtre. Mais aussitôt la fenêtre ouverte, elle sentit un changement dans le fond de l'air. Le soleil était enfin revenu pour respecter sa promesse : le printemps. Elle l'aurait attendu toute sa vie... Son enfance lui colora les joues. Elle voulait aller courir dehors, et faire des tournis avec une petite robe. Elle voulait manger une glace et jouer à tout ce qu'on lui proposera. Paris ne sera plus jamais grise. Le froid était parti.

Il est parti de lui-même ou elle l'a chassé avec son envie de sourire ?

Urgence de sortie oblige elle décida de rejoindre son ami Jocelyn, qui s'était également couché à 4h00, mais pour travailler, après sa douche. Elle l'aimait bien son ami : il perdait rarement l'envie de rayonner... Comme un soleil. À 12h30, elle évalua que sa marmotte qui lui a prédit tout l'hiver le retour du printemps (et elle l'a cru, parce que c'est beau d'y croire), avait assez dormi... 
Une voix rauque et grave, un voix qui lui ferait accepter d'écouter pendant des heures des valses affreuses jouées sur clavecin, lui répondit :
- Allô ?
- Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda-t-elle, avec une petite voix de gamine enjouée...
- Ha bien je, bien j'a mmmmzz, heu, pas grand chose.
- T'étais couché (en espérant qu'il ne lui réponde pas qu'il avait déjeuné...) ?
- Un peu, je ne dormais pas. Ha, Noémi (?) Il est quelle heure ? 
- T'as pas ouvert ton store ? Il fait beau. Il faut aller prendre du soleil.
- Ha, heu.. il faudrait que je travaille, sinon que je compose mon blog, mais sinon, je peux manger aussi...
- Génial ! J'ai pris ma douche alors je te laisse prendre la tienne, on se rejoint en bas, disons à 1h30. 
- Une heure trente ?
- À tantôt

Elle raccrocha, de peur qu'il refuse. Jocelyn se demandait ce que son amie pouvait bien faire pendant une heure si sa douche était déjà prise. Il n'ouvrit pas son volet métallique qui lui assurait l'ombre dans sa chambre, dans son cocon. Il n'avait pas envie de voir le soleil et se demandait pourquoi il avait accepté. Il savait que cela allait être une mauvaise journée. Il était triste, s'ennuyait de son chum, de son chien, de ses amis, de ses parents... Il aurait payé cher pour manger des hot dogs "Cheeze Whiz - Ketchup", jouer "Paint it black" à Guitar Hero, en boxer, sur son divan beige, dans sa beige banlieue, pendant que son chum règle ses histoires de souliers dépareillés dans le bon magasin. Il ne voulait pas voir le soleil aujourd'hui, et continuer de corriger son livre qui ne sera jamais prêt tellement il reste des fautes qu'il ne voit plus. Sa précarité temporaire le pesait. Mais à 1h30, après avoir écouté quelques "Avez-vous déjà vu ..?" sur YouTube et deux ou trois chansons de crieuses optimistes, il fut prêt.

Noémi n'arriva pas en retard et pour le saluer, elle fit une arabesque. L'air de ce dimanche était exactement comme elle l'avait anticipé... Paris était à la hauteur. Mais elle n'en doutait pas. Elle avait d'ailleurs écrit sur son profil Facebook "Oh what a day to be alive". Ne lui manquait qu'un petit café. Jocelyn, trop habillé pour la saison, fit la grimace quand il reçut les rayons en plein visage. Et comme pour les refuser, il éternua, comme à son habitude, quelques fois. La cour intérieure de la MEC était à nouveau animée, et on les informa que ce soir, c'était le grand retour du BBQ. Cette belle nouvelle arrivait à point, car les deux amis n'avait justement aucune mission, sinon d'aller manger, pour justifier leur flânerie... Ils devaient se trouver un morceau de viande.

Noémi et Jocelyn décidèrent de marcher vers la bute aux cailles pour aller casser la croûte et trouver une boucherie. Ils passèrent par le magnifique et populeux Parc Montsouris, avant d'atteindre Tolbiac. Sur le chemin, les garçons admiraient Noémi. Jocelyn pestait contre ces pauvres cons qui regardaient son amie comme... un morceau de viande sans comprendre l'étendue de leur laideur. "Bande de mauvais chasseurs ! Aller à la boucherie, comme nous ! Et achetez-vous une pièce qui corresponde à votre budget..." Le soleil n'éclairait que mieux, aujourd'hui, la souillure parisienne. Sur le chemin, se succédaient également merdes de chien, urine humaine, mauvais graffitis, vitres brisées, déchets, déchêts, déchêts. Mais Noémi ne voyait rien de tout ça. Elle avait envie d'avoir chaud, mais hésitait à aller jusqu'à retirer son manteau. 

Puis, un restaurant attira l'attention de Noémi : Acrobates et funambules... C'est exactement ce qui lui fallait ! L'image du funambule lui plaisait... Elle était si positive. Celui qui a appris à marcher sur un fil ne craint plus l'instabilité sur laquelle il est constamment placé. Il atteint un équilibre et il vit pour cette raison sous les projecteurs. C'est pour lui tous les jours le printemps. Et le décor était idéal pour cette petite fille en elle, heureuse, heureuse : fêtes foraines et bulles de gommes, clowns, ballons rouges et chaises léopard, chapiteaux.

Jocelyn hésitait... C'était un restaurant situé à une intersection (Tolbiac et De l'espérance). Son amie parisienne Dorothée lui avait bien dit d'éviter comme la peste ce type de restaurant. Et son avertissement s'est toujours montré véridique, pour Jocelyn, et pour les autres Canadiens. En plus, il y avait une ambiance légèrement gitane qui lui donnait envie de fuir. En plus, la rue "De l'espérance", il ne savait pas... Ce n'était pas une belle journée. Mais il avait faim, alors il aurait consenti à manger jusqu'à une tranche de Noémi. (Mais non !) 

L'hôte assis les deux amis dans la section "Caravane" du restaurant. Les craintes de Jocelyn augmentèrent en flèche. Qu'allait-il se passer ? Justement rien. Les serveurs passaient à côté d'eux sans les voir. Ils avaient disparus. Les autres se faisaient servir et eux, non. Pourtant, ils existaient encore, car une bande de garçons qui se pensaient "beaux gosses" ne cessaient de reluquer Noémi. Celui qui lui lançait des regards le plus gras était celui qui était déjà accompagné d'une jeune demoiselle... Et Noémi les voyait, car elle faisait dos au soleil... Un homme, c'est parfois peu brillant.

Après 20 minutes d'attente et une centaine de moues lancées au serveur qui les évitait habilement, ce dernier vint à la table leur lancer une très grande moue de professionnel. Noémi aurait voulu un déjeuné canadien, alors elle commanda un croque-madame (pain-jambon-fromage-oeuf, servi avec frites et salades). Du côté de Jocelyn, le mot fajitas lui plaisait, alors il a commandé ça. Ça et en entrée des rillettes de jambon, car il avait trop faim. En sachant, qu'ils ne prenaient rien à boire, le serveur a lancé une seconde moue et il est parti sans politesse, sans ne rien marquer.

Après 10 minutes d'attente et d'autodigestion, l'hôte les interpella par une ouverture dans le mur et leur demanda de répéter leur commande. Noémi et Jocelyn décrétèrent à ce moment précis que ce restaurant était "du grand n'importe quoi". Ils remarquèrent que les autres clients étaient servis aléatoirement (comme une loterie), pas en même temps, que certains attendaient depuis plus longtemps que nous, on entendait de l'autre côté du mur un cuisinier qui gueulait et s'engueulait, etc. Il n'y avait pas de soleil.
  
Noémi tira un numéro chanceux et reçu son croque-madame (magnifique et excellent, accompagné de frites excellentes). Jocelyn obtint son entrée (plein d'affaires garochés dans une petite assiette avec trois petits croûtons secs sur lesquels on avait beurré une espèce de truc rose sans goût particulier) comme prix de consolation. Les gitanes lui ont lancé un mauvais sort. Quelle autre explication que le sortilège pourrait expliquer qu'il a dû attendre 10 minutes pour qu'on vienne lui débarrasser son assiette et un autre 10 minutes pour comprendre qu'il n'y avait plus d'espoir de manger des fajitas ? 

Jocelyn s'est alors levé d'un bond, enragé. Il n'avait qu'une seule envie : aller dire "Redonne-moi mon 20$" (ca prendrait une note en bas de page pour les non-initiés... J'ai déjà dit ca au McDo en pitchant mon change sur le comptoir parce que le gérant avait décidé qu'il ne faisait plus ca, remplacer le bacon par du jambon dans des McCrêpes...) Noémi avait seulement hâte de retrouver le soleil... Ils se pointèrent alors au comptoir, prêt à tout pour faire mentir la théorie "There's no free lunch". Noémi avait une moue de parisienne insatisfaite accroché au visage (malgré que son repas était bon), Jocelyn avait plutôt l'air d'un Ricain sans classe et sans subtilités et qui cherche à mettre la merde. 

Malgré cette parade, tous les serveurs passaient à côté, comme s'ils ne les voyaient pas, comme s'ils étaient concentrés à marcher sur un fil. Noémi refusait de tricher et de partir sans payer, Jocelyn refusait de payer et de partir sans se faire respecter. Il a alors apostrophé leur serveur, affairé à mettre en place une table, d'un "Heille !" acide et sans civisme. Il s'est alors dirigé dans une moue filée vers son ordinateur. Puis, il a sursauté. 
- Bien, vous n'avez pas fini de manger.
- Ça fait une heure qu'on est icitte ! 
Puis il fait à Noémi et Jocelyn un petit geste sympathique, en les invitant à partir. 

Il y a de l'espoir, there is some free lunch. Noémi avait retrouvé son soleil. Jocelyn était resté dans l'ombre. C'était une mauvaise journée. Sur le chemin de la boucherie, près du Pho 14 (pourquoi !!! On était juste à côté de la soupe tonki !!!! Juste à côté !!!!) Il y avait plein d'itinérants, un homme en sang qui menaçait un autre homme qui s'éloignait après visiblement l'avoir battu, un périmètre de sécurité, car une auto accidentée menaçait d'exploser... Mais Noémi gardait un sourire de plomb. C'était le printemps, même sans son café.

À la boucherie, le caissier a tenté de les escroquer chacun leur tour. Noémi croit qu'il ne faisait que blaguer. C'est beau le printemps. Espérons qu'elle aimera autant le soleil l'été, dans sa chambre mansardée... Mais l'ennemi pour l'instant, c'est le froid.

Bonne nuit, Noémi. 

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