2008-11-13

la mort

La mort, ou la mouerta comme dirait Julie P. (mais je crois que Sabri le dit également), elle nous guette et nous épie (j'ai envie d'écrire épis). Elle n'épargne pas mon blog, qui s'essouffle, peut-être pour mieux rebondir, peut-être pour mieux mourir. Les commentaires se font aussi rares ; les doctorants (DoNoMoCat) grands scoreurs de commentaires luttent pour leur survie pour passer un examen de la mort. (Je l'ai passé et j'ai pensé mourir. Plusieurs fois. On va les laisser tranquilles... Le post sur les chouquettes attendra donc.) Je ne sais pas. J'ai moins de plaisir à l'écrire il faut croire... Il y a qqc de mort... 
Mais le post sur la mort fait davantage un clin d'oeil à l'Arracheuse de temps de Fred Pellerin. Il a fait une partie de son spectacle here "on" Paris. Partie, parce qu'à force de détours, il n'a pas fait le tour complet. On s'en fiche, car avec lui, on a l'impression d'aller "quelque part". De la poésie podorythmée, sur fond de guitare western, de mots de grands-mère et de lunettes rondes. L'arracheuse de temps est son quatrième spectacle dans lequel il a intégré quelques anecdotes de spectacles antérieurs. Bref, une courtepointe qui met en son coeur la notion de mort. On en rit, on en pleure. Bon moment.
Mais habituellement, ce genre de beau moment nous berce (berce-moi l'ivresse) la soirée durant, nous caresse l'existentiel et nous projette un réenchantement possible. Malheureusement pour moi, j'ai pris une mauvaise décision. 
À la fin du spectacle, les Canadiens s'aggloméraient sur le pavé, et collaient là, comme pris d'un sentiment d'unité, d'appartenance. C'était franchement agréable. Une partie est partie dans une rumeur prendre une bière. Je pensais que l'on allait les suivre, mais une autre rumeur "nous" a attrapé au vol ; celle d'une "rencontre" possible avec Fred Pellerin en personne. Excitante perspective, mais je trouve le respect froid de bien meilleur goût. Le pauvre était visiblement fatigué, nerveux, affamé, et cherchait à demeurer nickel en capital de sympathie. Je suis resté, suspendu entre le désir de ne pas désacraliser la bête de la poésie et celui de lui arracher un bout de son temps. Je répète, le respect froid a bien meilleur goût. J'ai attendu (avec Noémi) dans l'indifférence que les autres Canadiens agissent selon leur bon vouloir. Attendre quoi ? Je ne sais pas. Mauvaise décision ? Bah... Non. Ce n'est pas elle qui causa la mort de ma veillée. 
La délégation de la seconde rumeur décida de prendre un verre unique avant de regagner la MEC (quoiqu'on ne l'avait pas perdu). On entra dans le premier bar en vue : le roi soleil. Mauvaise décision ? Certainement un mauvais bar, mais sans doute pas une mauvaise décision. Un verre dans un bar crad, c'est pas la mort. 
Je m'assois à une mauvaise chaise et hérite bientôt d'une conversation qui m'exaspère : l'authenticité. "L'esprit des veillées traditionnelles c'est dont un fun plus authentique." Je suis irrité comme les disques de la grand-mère de Fred Pellerin. "Plus authentique que ?" Du fun vécu en dansant un rigodon ou dans un manège à Eurodisney, ça reste du fun... C'est dans le domaine de l'expérience et ça me paraît louche de chercher à hiérarchiser des expériences entre elles. Ok, on peut préférer le rigodon à la montagne russe, mais ça ne fait pas de la seconde un plaisir de deuxième catégorie... Peut-être dans l'expérience individuelle, mais dans une autre, ça sera l'inverse, alors les deux ont leur raison d'être...
Mais non, les plaisirs de banlieusards demeurent ringards, et tellement moins empreints "des vraies choses", des bonnes valeurs, de ce sentiment si noble de continuité qu'il n'y a aucunement dans les banlieusardises. Je suis en infériorité numérique dans mon coin de table, alors je passe pour l'idiot et ce, même si j'ai le poids de toute mes études. (C'est toujours le plus gros qui a toujours raison... toujours.)  On argue le non-sens du bonheur que guette le nain de jardin. (!!!) J'agite l'épouvantail du manque de relativisme culturel. Mais on me rétorque textuellement : "tu devrais lire 4 ou 5 livres de philosophie pour comprendre le sens de l'existence". 
Je pense que c'est dans le top 5 des gifles que j'ai reçu dans ma jeune carrière d'intello. Le genre de gifle qui met à mort tout respect, froid ou chaud, que j'aurais pu avoir pour mon (j'hésite à dire mes) interlocutrice. Je romps le discours en terminant mon idée sur le manque de relativisme culturel, et je termine sur une réflexion sèche sur le mépris. L'interlocutrice en question (pour toi Jérôme : elle étudie en théââââtre) roule les yeux et me dit que je n'ai rien compris à sa pensée (supérieure ?) et qu'elle ne dit pas que les banlieusards sont inférieurs, mais que... (je n'ai en effet pas compris, parce que il me semble qu'elle a parlé de sens de l'existence, mais ça revenait à dire qu'ils étaient inférieurs. Enfin, ça doit être vrai que les banlieusards sont inférieurs.) J'ai tourné le dos et je militais en faveur d'un départ imminent. Ma soirée était morte. 
J'aurais aimé être capable d'envoyer autant d'ondes négatives qu'Émilie choquée (c'est rare, mais c'est mon idole d'émettrice d'ondes) ou d'envoyer une réplique assassine (du genre : "Si vous troquiez dans votre pensée "banlieusard" par "juifs", vous risqueriez d'être pendus sur la place publique") un propos trempé de mépris (du genre : "Je sors justement un bouquin sur le nain de jardin, vous devriez lire un peu"), faire une power moue parisienne, ou une crise théâtrale, mais je n'ai rien fait. J'ai tourné le dos et quitté sans saluer. C'est là ma mauvaise décision ? Non. Entre Canadiens, on s'est compris.  
En fait, je regrette d'avoir engagé le débat. (C'est moi qui a commencé.) J'ai suicidé ma soirée. Je ne dirai pas que j'ai perdu mon temps ; j'ai consolidé ma position et mon identité de banlieusard heureux. Je n'aurais simplement pas dû intervenir dans leur beau petit bonheur de se retrouver, de s'unir, dans une certaine communitas d'intellos méprisant la banlieue et leur propre origine banlieusarde. J'ai fait violence à leur univers de sens. Et ça, ce n'est pas bien. J'aurais dû inviter à l'ouverture. J'ai défendu plutôt que laisser circuler les idées. J'aurais dû éviter le débat en me sachant fermé à l'idée de me faire mépriser. Conclusion : ils ont certainement durci leur position sur le vide existentiel des banlieusards. Je n'ai pas aidé la cause de la tolérance, de l'harmonie, de l'ouverture. J'ai débattu plutôt que dialoguer, et j'en suis peu fier. Je suis le seul responsable de la mort de ma soirée.
Au moins, j'aurai contribué à les lier entre eux. Les meilleurs liens ne sont pas ceux que l'on tisse entre nous, ensemble, à force d'intérêt commun. Ce sont au contraire ceux créés par la solidarité, ceux que l'on érige ensemble, contre. Contre un idée, contre une situation, contre un groupe de personnes, contre un banlieusard obèse qui trouve son bonheur parmi les nains de jardin. 
Pour tout dire, ça m'aide aussi de m'ériger contre. Contre cette image de l'intellectuel. Ça ne fait vraiment pas de moi dans le court terme un meilleur être humain, plus ouvert et plus tolérant, mais ça va faire du bien à ma thèse. C'est tout de même étrange que je doive faire mourir une partie de mes valeurs pour ainsi les obliger à renaître (je ne m'amuserai pas avec "re(con)naissance", mais j'en ai envie) plus fortes. Ça confirme l'adage de Fred Pellerin : la branche de la mort doit vivre sur le tronc de la vie.   

10 commentaires:

Anonyme a dit...

Tssk tssk! Jocelyn, t'as pas toi-même assassiné ta soirée...on te l'a assassiné! peu importe qui se fait dire par de pseudo-intellos (qui ont besoin de livres philosophiques pour avoir une conversation soutenue) de lire quelques livres de philo pour comprendre le sens de la conversation, sa soirée est foutue! À moins de tirer un malin plaisir à leur dire que ce sont de pauvres cons et que même Nietsche a finalement découvert le sens de la vie, non pas grâce à la philo, mais grâce à la syphilis! Alors, les philosophes à gogo...Dommage que ta soirée ce soit terminée comme ça! Mais bon, je trouve pas que t'as perdu la face en répliquant...et encore moins de tourner le dos et t'en aller...
Bon, repense plutôt aux contes de Fred et au yiable les autres!
Bon, je vais tenter d'arrêter de procrastiner joyeusement...il ne se fera pas tout seul mon examen!
cath

Anonyme a dit...

Si ça peut te rassurer Jocelyn, je suis un de ces intellectuels: élitiste, méprisant, qui lit de la philo (et en plus je suis associable), mais je ne hiérarchiserai jamais le bonheur des autres en terme absolu.

Un bonheur intellectuel (lire un livre), récréatif (écouter un téléroman, jouer à un jeu vidéo), sportif (pratiquer son sport préféré), culturel (assister à un spectacle), social (aller prendre un verre entre amis) et autres sont tous des bonheurs égaux, dans la mesure où ils procurent du bonheur. Qui sommes-nous pour juger de la qualité du bonheur d'autrui?

Ce qui est important, selon moi, c'est d'avoir plusieurs sources de bonheur différent, afin de pouvoir "grandir" sur le plus de plans possible.

Tu leur diras ça, à tes interlocutrices!

Ophélie a dit...

Jo, je t'aime.
Parce que desfois ça fait du bien de juste se faire dire qu'on est apprécié. Les mauvaises journées (ou soirées) sont faites pour être oubliés et les cons sont faits pour êtres... j'ai le goût d'écrire pendus mais je me censure un peu! Comme disent tes anonymes, si ça te prend un livre de philo pour comprendre la vie: t'as rien compris! Ne meurt pas Jo
Encore: Je t'aime

Anonyme a dit...

Le problème avec ce type (trop prévalent) d'intellos détenant la vérité absolue, c'est qu'ils véhiculent exactement le contraire de ce qu'ils sont eux-mêmes. Ils se disent ouverts et ils comprennent tellement!!?!?! la société.
L'autre problème avec eux n'en est pas un en soit. Ils donnent vraiment la nausée mais ça nous permet de leur vomir dessus.

PS: Non mais, t'imagines la face qu'elle ferait en entrant ici. Elle aurait la totale: Bree, assise sur le divan, exprimant toute sa vanité banlieusarde, à côté de ma sacoche LV...

Yo et/ou Sab a dit...

Ou la la !!!
C'est de loin le MEILLEUR message de tout ton blogue, qui porte à réfléchir, qui nous indigne, qui a mon nom dedans (!), qui parle du magnifique Fred Pellerin et qui nous permet, comme le fait Ophélie, de te dire qu'on t'aime !!!
Ce que j'ai à en dire :
Que je m'en sacre un peu que mes amis soient, soit intellectuels, soit gros, soit banlieusards, soit avec une verrue sur le nez, qu'ils aient lu le dernier Clin d'Oeil ou vu le dernier show de Madonna, ou qu'ils aiment l'opéra ou les danses balinaises.
Je les aime mes amis parce qu'ils ne me disent surtout pas quoi lire ou quoi faire et qu'ils ne me font certainement pas la morale, parce que ça, c'est la MORT !!! Je les aime mes amis parce qu'ils sont capables de discuter et de relativiser et qu'aussi qu'ils sont capables de se tenir debout.
Jo, j'aurais fait la même chose que toi !!!
Je t'aime !!!
Moins de 10 jours avant nos retrouvailles !!!
Sabri XXX

Van Troi Tran a dit...

C'est évident qu'on a absolument besoin de connaître par coeur la Phénoménologie de l'Esprit et la Critique de la Raison pure pour pouvoir développer la thèse très originale que les plaisirs de banlieusards sont superficiels.

Unknown a dit...

haha! bon point

Unknown a dit...

ne se contredit-on pas performativement quand on critique "ce type d'intellos" (catégorisation qui sert avant tout de repoussoir) pour leur manque d'ouverture?

jocelyn a dit...

Ouin pis ? On est dans l'opinion... Le neutre, c'est le degré zéro (donc pas d'opinion). On dit pas que la nôtre est bonne, on dit qu'elle est meilleure... Nuance !
Chaque opinion a un problème de sens... Si tu veux pas en faire, bien reste dans ton degré zéro ! (confortable, mais invivable, comme quoi, même ce degré a un problème de sens...)

Unknown a dit...

une opinion ça s'argumente... en quoi est-elle meilleure?