Pour s'en protéger, la moue devient le masque de convenance idéal. La moue est un sourire inversée, inversant le sourire d'autrui. C'est un sourire par en bas visant à rabaisser. Et tombent les sourires. Faire une moue, c'est dire à son interlocuteur : "Moi, je suis parfait, c'est toi qui est nul". C'est cette même moue parfaite qu'on voit dans les magazines de mode. Pas étonnant que Paris soit la capitale de la mode, on y apprend à faire la moue dès la tendre enfance. Comme les Parisiens sont des professionnels de la moue (spécifiquement ceux qui travaillent derrière un comptoir), je vous conseille, avant d'aller à Paris, de vous pratiquer devant le miroir pour atteindre la moue parfaite.
Si parfois, il y a des dialogues de moues sourdes, la plupart du temps, c'est le premier qui décroche la moue qui est déclaré vainqueur (donc le parfait). C'est un peu comme les duels dans le Far west... Attention, impossible d'entrer avec une moue, sinon, vous perdez... Il faut le faire au bon moment. En connaissant cette règle de base, les interactions (avec l'administration française) s'en trouvent facilitées. Aujourd'hui fut mon jour de moues. Je crois que je m'en viens bon.
Première moue : Je me rends à la station de RER. Il y a grève. Je fais une moue non-dirigée, sans m'esclaffer (une moue surdimensionnée est une moue imparfaite). J'ai eu la moue juste, j'ai donc eu l'air parisien et distingué. J'étais fier de moi. J'ai donc marché vers Porte d'Orléans le sourire aux lèvres.
Deuxième moue : J'arrive au 54 Raspail (c'est marqué 52, mais je me fais reprendre par tout le monde, alors disons 54.) Je demande l'heure à la réceptionniste. Elle me pointe banalement l'horloge que je n'avais pas vu. Je lui fais une moue molle, elle me répond par une moue franche. Foudroyé, je lui présente mes excuses d'exister et va attendre quelques heures en pénitence l'arrivée de l'ascenseur. On n'apprend pas à une réceptionniste comment faire la moue !
Troisième moue : J'arrive au sixième (au septième), et entre dans le fameux local, lequel on m'avait interdit l'accès la veille. C'est un lieu suspendu dans l'absurdité. Il y a à chaque bureaux (au nombre de quatre) des étudiants et des employés qui gueulent ou introduisent leur gueule, un petit monsieur enfoui sous une tonne de formulaires, des papiers partout (un peu comme à la bourse de New York), des bruits de téléphones, personne n'est assis (sauf le pauvre monsieur qui cherche et cherche encore) et dans toute cette pagaille personne n'a pensé ouvrir les lumières. Je suis en plein milieu et je trouve ça délirant (comme les annonces de Déli-Cinq). Un bureau se libère, mais comme l'employée semble affairée, j'attends qu'elle me dise d'approcher. Pendant ce temps, l'étudiante à côté de moi, qui est arrivé quelques secondes après moi, s'impatiente (prête à me faire une power moue) et s'agitent. Je me retourne et je lui fais une moue autoritaire. "Écrase minable et attend ton tour." Elle se ressaisit. Pendant ce temps, le bureau voisin se libère et l'étudiante, juste à côté me fait signe d'y aller. C'était parfait.
Troisième moue : J'explique à l'employé la raison de ma présence et contrairement à ce que je croyais, je ne reçois aucune moue. Il y a anguille sous roche... Elle va chercher le dossier des étudiants de mon directeur, mais revient les mains libres. Là, je suis déboussolé : dois-je faire la moue ? Elle demeure sympathique et m'explique que mon directeur n'a pas fait son listing d'étudiants et tant qu'il ne l'aura pas fait, je ne pourrai pas m'inscrire. Bref, elle est en train de faire une immense moue métaphorique (et bureaucratique) à mon directeur. Tout en demeurant sympa, elle me dit de le contacter pour l'avertir. C'est horrible, elle me fait livrer une moue à un homme à qui je ne veux surtout pas recevoir de moue. Sur ce, je lui laisse une copie de mon diplôme, qui lui manquait, (copie que j'ai eu gratuitement, parce que je n'ai justement pas fait la moue à un employé dans un centre de photocopies dans laquelle on ne pouvait pas faire juste une copie... comme quoi, il n'y a pas que la moue qui paye !) et mes coordonnées parisiennes.
Quatrième moue : La quatrième ne compte pas, car ce n'est pas moi qui l'a eu. C'est la pauvre secrétaire du labo dans lequel je suis affilié, super sympa, qui a pris sur elle tous les dangers de mon pauvre colis lié par une grande moue. Elle téléphona aux employés de la troisième moue et chacun d'eux la sermonna et l'engueula. C'était comme s'il y avait une nulle de service au bout de la ligne. Mais dans le fond, elle n'écoutait que d'une oreille, mais prenait toujours au téléphone un air résigné. "han han" Après l'imbroglio de moues, ils parlèrent de solutions.
Cinquième moue : J'en passe, car j'ai faim et je dois aller dîner, mais j'ai réussis, après une journée de moues, une double moue piquée. Au marché, je sonnais à la protection à l'entrée et le gardien m'avait laissé passer quand même. À la sortie, je resonnai à nouveau, mais ce n'était pas le même gardien. Il s'avança vers moi avec une moue filée. Je lui dis que j'avais sonné à l'entrée et que le gardien, ne trouvant pas la source, m'avait laissé entrer. Il maintint néanmoins sa moue suspicieuse et perdant le sourire, je lui envoyai un "mais il faut parler avec votre collègue !" et il recula. Pendant ce temps, la caissière, d'une infatigable moue ou une moue permanente, c'est selon, cherchait l'étiquette des artichauts (j'avais eu un problème, car la balance ne voulait pas me donner de prix, car c'était paraît-il un prix unique). Ne la voyant pas, elle me tomba dessus en me disant qu'il fallait peser. Je lui répondis sèchement que je savais bien, mais que la balance ne donnait pas les artichauts au kilo. Elle s'emballa en disant qu'elle ne savait pas plus. Et je lui adressai ma seconde moue en autant de minutes : "Bien laissez tomber." et lui laissai le sac. J'aurais aimé qu'on soit une dizaine à vouloir acheter des artichauts.
C'est agréable ce sentiment de s'intégrer tranquillement. C'est un peu ça la liberté. Moi, ça me donne le sourire et l'envie de kicker les pigeons. Un jour, j'essayerai peut-être. Pauvres pigeons.
9 commentaires:
Bon, je suis bien content de voir que tu te forge un caractère de cochon! Je savais que tu étais assez méprisant pour mépriser les Parisiens! Cependant, je ne sais pas si le système de moue fonctionnera à ton retour à Québec.
Il y a juste Corinne qui pourra de rivaliser en faisant la moue. Mais attention, elle est seulement capable de faire ses power-moues quand elle ne s'en rend pas compte!
Oublie pas mon lavabo (je te le demanderai sans arrêt!).
J'm'en veux assez Mario, t'as pas idée, aujourd'hui, j'ai croisé un truck (là je sors mon québécois cru) pis il y avait le mot lavabo écrit dessus ! Mais j'avais pas mon appareil-photo (il me manque de batteries... pis j'oublie tout le temps de le charger)
Sinon, toi, si tu viens à Paris, je veux que tu me ramènes une affiche sur laquelle il est marqué lavabo, ainsi que ton roman.
La théorie de la moue alors, c'est trop parfait! Je salive déja a l'idée de mettre le Parisien type a l'épreuve car s'il est un domaine dans lequel j'excelle, c'est certes celui de l'expression du dédain envers l'être nul se présentant devant moi!!
Je vais faire un tabac début novembre, j'en suis déja convaincu!! Je vais commencer avec les vieilles de Sillery et celles des Jardins Mérici et je te reviens la-dessus!
Tu voies, c'est pas trop compliqué!
(bon, comme je ne sais pas comment insérer des images dans la boîte de commentaire, voici un lien internet d'une affiche marquée lavabo dessus, la joke aurait été beaucoup plus percutante si l'image aurait été directement sur le blog, mais bon...)
http://imagecache2.allposters.com/images/pic/IMC/70066~Lavabos-Ch-Poincet-Posters.jpg
En plus, il y a une adresse parisienne sur l'affiche. Une mission pour Jocelyn! Pour le roman, c'est encore au stade embryonnaire. Je dois me botter le derrière pour la maîtrise. Putain de squatteurs... Peuvent pas squatter en me fichant la paix?!? Bordel...
Géniale la théorie de la moue, et tellement vraie. Paaaaaris, un monde impitoyaaa-ableuu.
Ouf, faire la moue ne me manque tellement pas. Mais je crois que nous avons un champion !
Par contre évite d'exporter çà ici, on s'en passera bien.
Et au fait, non, l'odeur n'est pas plaisante. Pas celle de Châtelet par exemple, mélange de renfermé, de pisse, de poubelle et de sueur qui t'imbibes jusqu'aux os. Yark.
Bonne chance pour tes prochains combats de moues (qui ont l'air d'être quotidiens !)
Je savais pas qu'il y avait de chouettes lavabos en France. Par contre, on a la chanson la plus quétaine du monde à ce propos (Qu'il est beau, qu'il est beau le lavabo, qu'il est laid, qu'il est laid le bidet...lalala)
Do
Un pur délice que la moue! Mais toi qui a l'habitude de vivre avec un "moueur" professionel, je suis certaine que tu sais bien leur répondre. Un jour, si tu ne sais pas quelle moue utiliser, pense à la moue que Jérôme fait juste avant de dire le mot truie... Et voilà! Je crois sincèrement que je viens de te donner un coup de main d'enfer dans ta carrière de "moueur" parisien professionnel.
Hey! laisses les pigeons tranquilles, ils n'ont rien à voir dans tout ça... contente que tu ne t'emmerde pas trop. et j'appuie Mathieu en affirmant ma fierté que tu mérpises les méprisants de parisiens. ben bon pour eux!
Fanny (parce que je pense que je vais apparaitre anonyme parce que pas de compte. mais bon tu sais: la techno et moi...)
Salut Jo, tes textes sont passionnants! Je te laisse sur une citation d'un livre que j'ai pas lu.
"Paris, point le plus éloigné du Paradis, n'en demeure pas moins le seul endroit où il fasse bon désespérer."
CIORAN
À bientôt
C'est extraordinaire cette citation !
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