C'est que, je reviens de l'ambassade du Canada avec un bout de papier extraordinaire : une attestation tenant lieu d'acte de naissance. Comme je n'avais pas un certificat de naissance acceptable selon la France, que mon certificat de baptême n'est pas plus acceptable en France (j'oserai dire, il est encore plus inacceptable, car il vient du religieux et la religion, ici, c'est mal), que personne au Québec n'arrivait à retrouver un de mes deux certificats acceptables, et que je n'avais pas le temps de m'en faire livrer un autre avant mon rendez-vous de lundi, le Canada a décidé de reconnaître officiellement que j'étais bien né ! J'ai trouvé cela exceptionnel ! En plus, ce miracle de cette renaissance a failli différer (dans la différance... ha ha ha), car on ne pouvait me recevoir que le 23 octobre... Contrairement à la France où j'aurais dû exhiber la moue juste, j'ai parlé en Canadien (à une Canadienne) avec un air de chien piteux. (À défaut d'exceller en moue, ma mine de nécessiteux est à point.) La préposée a craquée. Ça m'a coûté un beau sourire et 33 euros.
C'est rassurant ce sentiment de se faire reconnaître pas un État. Ça berce un sentiment de sécurité ontologique, comme si le Canada, même si je l'ai quitté, continue à me reconnaître comme un des siens, continue à (m')assurer mon identité. Par conséquent, Mo, j'ai maintenant la preuve que je suis bien né. Tu peux arrêter de t'inquiéter. Et mes parents, j'ai maintenant la preuve que vous êtes bien mes parents... Une chance pour vous. En fait, c'est le point qui clochait. La France reconnaissait ma naissance, mais pas ma filiation. J'étais sur papier exempt d'arbre généalogique et ça agaçait l'administration. Qu'est-ce qu'il ferait Rémi (sans famille) en France ? Et Jésus ?
Trêve de plaisanteries, je m'imagine le drame des sans papiers. Disparaître administrativement, ça doit être terrible ! Seulement vouloir naître (administrativement) dans (ou plutôt pour) un nouveau pays est tâche ardue... Ça me fait penser au film French Kiss (avec Meg Ryan), qui n'a plus de nationalités... C'est à quelque part cette mort administrative qui l'oblige à chercher à renaître en renouvelant les connaissances sur elle-même. C'est un phénomène à étudier. Moi, je me découvre un gros côté "I am Canadian".
À ce chapitre, j'ai passé mon heure (au pluriel) de lunch avec une philosophe torontoise en larmes, pleurant sa déportation à la Maison du Mexique où elle dort parmi les cafards, s'intoxique avec la moisissure de la chambre de bain et est ignorée par les locataires parce qu'elle ne parle pas espagnol...
Sinon, ironie la plus totale, le jerk de la MEC est un Texan... Il ressemble étrangement à Fabien, le beauf de Mathieu et Corinne... Au party hier, on a dû aller chercher le gardien de sécurité Mamadou (je ferai un post sur lui un jour) pour éjecter l'être abjecte de la pièce où on était. Saoul, il insultait, dans un anglais très texan, tous les Québécois et francophones dans la salle (nous avons un accent de merde en anglais et on mérite la mort), ainsi que les hispanophones (parce que ce sont, selon lui, des gens laids avec un accent de merde), criant à qui ne voulaient pas l'entendre qu'il savait parler plusieurs langues, mais que c'était inutile, car seul l'Américain permettait l'avancement social. Ils poussaient les gens de leur chaise pour s'asseoir et tripotait au passage les filles en les invitant dans sa chambre. Première fois qu'on le voyait et on a l'honneur de rester avec lui un an.
On peut appeler ça un suicide social. C'est évident que l'on a assisté à une sorte de crise identitaire aiguë, provoquée par une difficulté chronique (ça doit faire cependant une ou deux semaines qu'il est arrivé) à se faire comprendre. Poussé par une sorte de claustrophobie identitaire, il a paniqué et a décidé de repousser tout ce qui n'était pas étasunien. Tout sauf TRÈS paradoxalement l'arabe du groupe envers qui il a été correct... Cette altérité radicale était sans doute plus acceptable, étant donné qu'elle n'a aucune prétention à pénétrer dans cette bulle culturelle qu'il cherchait à défendre. La "différence" en revanche était plus difficile d'acceptation : il a développé une sorte d'allergie soudaine, exacerbée par l'alcool. Il a eu peur de (devoir) devenir autre et de perdre son identité. On pouvait sentir l'urgence de la menace identitaire. C'est un effet secondaire de l'internationalitude...
En espérant que cette mort sociale déclenche chez lui un désir de re(con)naissance. Re(con)naissance oui de son identité texane, mais une identité renouvelée, ouverte non pas juste aux autres, mais à lui-même. Dès lors, il pourra naître en France et ainsi accepter la différence, et notamment, la sienne. C'est très difficile de s'accepter comme différent. Et pour réussir, il faut vouloir (se) connaître et renaître. Mais pour vouloir renaître, et c'est sans doute ce qui est le plus difficile, il faut faire mourir un soi. Après ce deuil, commence la quête de la reconnaissance.
Oui, je suis en train de souhaiter du bien à un parfait jerk, car je peux comprendre ce qu'il vit. Moi, ce que je ne comprends pas, c'est qu'il soit venu en France. Il y a quelque chose qu'on doit faire mourir avant de partir. Sinon, pourquoi partir ? Et dans son cas, pourquoi reste-t-il ? Au prochain incident, le Comité de résident (pas encore formé) le fait éjecter de la Cité universitaire. Je ne sais pas si je lui souhaite. Et je ne sais pas si je souhaite que ça arrive ou que ça n'arrive pas. Là tout ce que je souhaite, c'est la re(con)naissance et non la renaissance d'un con.
2 commentaires:
Yé, tout au long du poste, je me demandais quand allais tomber le jeu de mot avec "con". Ouf, belle chute, et quel suspens ! Je te (re)(con)nais bien là...
Ravie d'apprendre que tu es bien né de tes parents, et que tu n'es ni un mirage, ni une arnaque administrative. Je dois re(con)naître que commençais à douter.
Je te souhaite de profiter pleinement de ta ((re)(con))naissancee)
Do, xxx
best. post. ever.
No
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