2008-10-28

le Japonais

La France, et qui plus est la MEC, ce n'est peut-être pas l'environnement le plus facile pour un mathématicien unilingue Japonais qui parle un peu anglais. Pauvre Utaka. 

Là, si Julie P. lit mon message, elle est en train de rire  parce que d'une part elle voit la photographie que j'ai prise dans le métro lors de la nuit blanche, d'autre part parce que j'ai dit "Utaka" et ça la fait bien rire (elle rit aussi quand je dis "nain de jardin"), et d'autre d'autre part parce que je suis en train de faire un post sur Utaka. En passant, si Julie P. trouve la photographie drôle, c'est que Utaka, c'est le Japonais en arrière à gauche qui essaie d'entrer dans la photographie que je prends d'Élie et de Jordan. Enfin, c'est fou comment ça le présente bien. 
Donc le pauvre Utaka essaie depuis le début de son entrée à la MEC de comprendre comment on peut exister en France. C'est un malheureux brassé, qui aurait pu tomber sur pire (on se rappelle la philosophe pleurant son sort à la maison du Mexique...), mais qui aurait eu un séjour drôlement plus efficace à la Maison du Japon... Pauvre Utaka. 

Il erre dans la cuisine du troisième (c'est un asocial par défaut, il est donc pardonné) et réunis constamment son petit change pour oser nous poser des questions qui nous semblent d'une évidence stérile : "where can I buy food ?" "how can you call outside France ?" "where can we print documents ?" "where can I buy hangers ?" Et on lui répond, mais il nous sort constamment un "ha ok" qui démontre qu'il n'a visiblement rien compris. (Bon ok, j'avoue, il n'est vraiment pas si pire en anglais, mais pour l'exercice de style, on va dire qu'il n'a rien compris.) Pauvre Utaka. 

Aujourd'hui, on contenait notre hilarité, car le pauvre Utaka, qui est postdoctorant en maths mais qui ne sait visiblement pas cuisiner, a voulu se faire des pâtes. J'imagine qu'il a observé tout un chacun (car ici, on mange des pâtes trois jours sur quatre). Alors il a ouvert son sac de spaghettis, fait un dégât d'enfer, mis un chaudron d'eau sur l'élément, mis les spaghettis dans l'eau et il est parti 10 minutes.  

Quand il est revenu, ses pâtes n'étaient évidemment pas prêtes, alors il est reparti 10 minutes. Une fille l'a un peu pris en pitié, alors elle a poussé les spaghettis pour qu'ils plongent entièrement dans l'eau qui commençait à peine à bouillir... mais les bouts submergés ont eu le temps de coller entre eux. Alors les spaghettis ont continué à cuire, mais comme il ne venait pas les brasser (et que la pousseuse de spaghettis voulait quand même pas lui préparer son dîner), ça collé bien raide. 

Quand Utaka est revenu, il était content d'avoir des spaghettis prêts alors il les a mis avec beaucoup de difficultés dans une passoire (pour savoir ce que c'est une passoire, consultez le vidéo explicatif sur le blog de Van Troi Tran (outposts) qui s'appelle cours de logique du professeur Shadoko). Après, il a mis le pain (c'était un pain oui) dans une assiette. Je ne l'ai pas vu avec un pot de sauce... Je suis parti... Non pas que je ne voulais pas voir ça, mais je n'avais plus rien à faire. Pauvre Utaka.

Dans le fond, on le laisse dans sa merde. Il ne comprend pas. Ha... En fait, on trouve ça drôle ! Mais que pouvions-nous faire ? Lui expliquer ? Comment ? En faisant son assiette à sa place ? Bel apprentissage : il met des spaghettis sur le feu et hop ! Magie, un bon spag... C'est important qu'il se submerge (comme ses spaghettis)...   

Dans le fond, Utaka, c'est un peu notre immigrant en nous... Désorienté, il doit réapprendre à trouver des repères, se familiariser avec la langue, l'accent... Il doit constamment oublier ce qu'il sait pour tout revoir en neuf. Il doit renaître, non pas pour se re(con)naitre, mais seulement pour sortir de l'ombre. C'est une part en nous super vulnérable qui découverte quand notre quotidien est ébranlé.  

Nous, on le laisse à l'ombre, à l'arrière-plan (comme la photo). On dirait qu'on ne veut pas le voir, ou du moins l'assumer. Du moins, pour l'instant. Nous, on cherche à s'intégrer (en fait, pas du tout, car on est à la MEC, pas à Paris... Mais on essaye quand même de s'intégrer à la MEC) et on ne veut pas voir cette part sombre qui veut un peu de lumière, qui veut intégré le quotidien. Nous, on le voit davantage comme une part de ridicule en nous. On préfère en rire, entre Canadiens. On pense qu'il est la preuve qu'on s'intègre bien, mais dans le fond, il est la preuve que nos quotidiens possèdent encore beaucoup de zones d'ombre. 

Mais si nous (un nous qui implicite que les Canadiens sont ses hôtes) ne l'aidons pas, comment est-ce possible qu'il s'intègre ? Parce que l'enjeu, c'est que notre immigrant en nous ne s'intègre jamais, et qu'on ressemble à un espèce de Texan à côté de ses pompes (cf la re(con)naissance). 
Et le plus fantastique, c'est que Utaka garde toujours le sourire.    

Il y a un Japonais chez chacun de nous. Il prend des photos, c'est sympathique, mais s'il n'a pas de guide, il finit par manger de la merde. Et si je vais au Japon, ça pourrait bien être mon guide. Il y a peut-être aussi un petit Canadien chez chaque Japonais...

5 commentaires:

Anonyme a dit...

Pauvre Utaka... Je crois que je ne l'avais même pas vue sur la photo avant que tu précises qu'il était le gars en arrière-plan! Il est tout petit et il cherche à vivre! Pauvre dude!
Mathieu S.

Anonyme a dit...

Clairement, il ne demande qu'à vivre! Tu l'as vraiment regardé préparé son pain de pâtes en te disant que ça ferait un bon post??? t'es malsain jocelyn! pauvre Utaka!
J'avoue que là, mon coeur saigne...c'est comme regarder en se bidonnat un ti-vieux aveugle et sourd tenter de traverser la rue... allez les Canadiens pas trop dépaysés, un petit coup de pouce! pauvre vieux...
Question piège : Comment peut-on faire efficacement et rapidement réchauffer des tortillas tout en les conservant croustillantes sans de fourneau si un Mexicain ne nous le montre pas??! c'est pareil pour le Japonais et ses spaghettis... pauvre dude comme dirait mathieu s.
cath...

jocelyn a dit...

Oui, mais Cath... il partait... Comment tu voulais que je l'aide ? Pis des pâtes, il y en a au Japon... Je veux bien être sain, voire un saint, mais si j'y brasse ses pâtes, ça ne lui apprend rien. Anyway, on se brasse pas la pâte entre Canadiens...
Mais Anne-Émilie a dû l'empêcher de manger ça, je ne sais pas ce qui s'est passé, j'étais parti, moi aussi...

Tanja Barazon a dit...

Salut! je voulais savoir, tu habites à la cité universitaire à Paris? Je suppose que MEC veut dire Maison du Canada? Au début je pensais que tu habitais plutôt rive droite - voir ton échange avec Troi sur la bonne rive!

Anonyme a dit...

Le plus triste (je dirais même sentimentalo-miserabiliste), c,est que son non-sens confère tellement de sens aux autres. On dirait un petit pikachu sur la photo...j'adore sa tête bien kawaï en tout cas...
Ah, pis j'aimerais bien un post sur les chouquettes !!
Bonzaï !
Do,
xxx